L’Institution Chrétienne de Calvin

A l’origine Calvin et ses amis n’avaient nullement l’intention de rompre avec la hiérarchie, et de créer une scission dans l’Église ; car ils espéraient la réformer intérieurement par la prédication de l’Évangile de la grâce. Mais on leur ferma la bouche et le pape s’unit au roi de France, pour persécuter ceux qu’on nommait les « Bibliens, les Évangéliques ».
Calvin, pour sauver sa vie, fut obligé de s’enfuir de Paris à cheval, en octobre 1543, avec le chanoine du Tillet, et se réfugia à Bâle.
Pendant un séjour à Angoulême, chez du Tillet, qui possédait une merveilleuse bibliothèque de plusieurs milliers de volumes, Calvin avait rédigé des notes sur la doctrine de la Bible. Arrivé à Bâle, il s’installa dans une modeste pension d’étudiant, au faubourg Saint-Alban, et y vivait presque inconnu, sous le nom de Lucanus.

Il venait de terminer la rédaction du manuscrit de son exposé de la vérité chrétienne, lorsqu’il apprit (février 1535), que le roi François 1er répandait en Allemagne, chez les princes luthériens, le bruit que les Évangéliques de France étaient de dangereux révolutionnaires et anarchistes, « … une peste contagieuse qui prépare la plus abominable sédition, méritant les pires châtiments… ». Il frémit d’indignation et il écrivit, tout d’un trait, sa célèbre Épître au Roi, premier chef-d’œuvre de l’éloquence française, pour réfuter de si atroces calomnies. Il ne fallait pas que les martyrs, qui dans d’horribles supplices mouraient par fidélité à leurs convictions, fussent confondus avec de vulgaires et abominables fauteurs de désordre. Cette lettre servit de préface au livre qu’il préparait.

Si l’Épître est un éloquent plaidoyer, l’Institution en est le document justificatif. Elle démontre, elle manifeste que les Évangéliques sont des chrétiens bibliques, professant la doctrine des prophètes et des apôtres, celle de l’Église primitive, des chrétiens humblement soumis à l’autorité de la Parole de Dieu, des disciples du Christ-Sauveur, seul chez de l’Église et seul Médiateur entre Dieu et les hommes.

Le volume qui parut, en latin, en mars 1536, n’est qu’un relativement petit livre ­ – un livret – si on compare à l’édition définitive de 1559. Il pouvait aisément entrer dans une poche de grandeur moyenne. L’auteur, dans son exposition, suit l’ordre du catéchisme de Luther, à savoir :

  1. la loi (les 10 commandements) ;
  2. la foi (le credo ou symbole des apôtre) ;
  3. la prière (l’oraison dominicale) ;
  4. les vrais sacrements (le baptême et la Sainte-Cène) ;
  5. les faux sacrements (ceux de l’Église romaine) ;
  6. la liberté chrétienne (le devoir d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes).
Il se fondait ainsi sur des documents acceptés généralement comme revêtus d’une autorité absolue.

L’Institution Chrétienne est donc une somme biblique, son but est essentiellement de mettre en lumière la révélation de Dieu contenue dans les saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament.
E 1541, à Strasbourg, Calvin en fit lui-même une traduction française, revue et considérablement augmenté. C’est le premier ouvrage de cette importance qui ait jamais été écrit en notre langue. Aussi l’Institution de 1541 est-elle un des grands monuments de la prose française, et sa publication marque-t-elle une date importante.
Plus tard, en 1559, Calvin remania complètement son exposé, et le développa encore davantage, tellement qu’il disait lui-même que c’était un ouvrage « quasi nouveau et de grand labeur ».
Essayons maintenant de donner une idée du contenu de ce livre, dont l’influence a été profonde et bienfaisante, en éclairant et affermissant les consciences troublées et leur faisant trouver le chemin de la vérité et de la paix.

Le premier livre est intitulé : De la connaissance de Dieu en tant que souverain créateur et gouverneur du monde. La création, la nature, porte la marque, l’empreinte de son auteur, et c’est un devoir religieux de l’étudier, d’apprendre à en connaître les lois admirables : les cours régulier des astres, le développement de la vie des plantes et des animaux, et l’homme, le chef-d’œuvre de la création.
Dieu étant la grande réalité qui domine et pénètre tout, notre vie est entre ses mains et il fait servir toutes choses à notre bien, à notre éducation spirituelle. Ses bienfaits nous disent sa bonté et sa fidélité, tandis que nos épreuves sont un école salutaire par laquelle il faut passer pour être détachés du mal, et formés à la patience, à l’obéissance et à l’espérance des choses meilleures que Dieu a préparées pour nous dans l’au-delà.
La grande preuve, le témoignage suprême de la fidélité de Dieu, c’est le don qu’Il a fait à l’humanité corrompue, incrédule, mauvaise, d’un Sauveur en la personne de son Fils.

Le deuxième livre de l’Institution traite de : Dieu en tant qu’Il est notre Rédempteur en Jésus-Christ. L’œuvre de la Rédemption a été préparée dans l’Ancienne Alliance par la Loi, qui nous révèle la miséricorde de Dieu, celui qui, par pure bonté, fait grâce aux coupables et les appelle à sa connaissance et à son service.
Jésus-Christ, Fils de Dieu et fils de l’homme, ayant vécu, ayant souffert et donné sa vie pour nous sur la croix, nous a acquis par ses mérites infinis le salut dont nous sommes indignes. – Qui sommes-nous que nous soyons l’objet de a grâce de Dieu, de son élection gratuite ?

Le troisième livre traite de : La manière de participer à la grâce qui est en Jésus-Christ, c’est-à-dire de l’œuvre du Saint-Esprit. C’est Dieu qui prend l’initiative de nous appeler à la foi, de nous donner la foi, de nous justifier, c’est-à-dire de nous accorder la rémission gratuite de nos péchés, dans aucun mérite de notre part. Et s’il le fait, c’est dans le but de nous régénérer, de nous renouveler entièrement et de nous sanctifier par son Esprit, de nous conduire, en détruisant en nous l’orgueil et l’incrédulité, à une vie qui soit une ascension vers la justice et la charité, un service véritable de Dieu et du prochain.

Le quatrième livre traite : Des moyens dont Dieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ. Dieu nous aide dans notre faiblesse en établissant sur la terre son Église, le corps de Christ, la mère des fidèles, qui les nourrit de la substance de l’Évangile, de la Parole divine. Cette Église s’est corrompue du fait de la malice et de la perversité des hommes, mais Dieu l’a réformée et ceux qu’elle appelle doivent lui demeurer fidèles, par une franche et publique manifestation de leurs convictions.

Quant à l’État, le gouvernement politique, il fait régner l’ordre et la paix dans le monde, en réprimant les vices et les hérésies, et il doit soutenir l’Église, gouvernement spirituel, dans on œuvre d’éducation et de consolation des âmes.

Telle est très brièvement résumée la trame de ce grand livre, synthèse unique et admirable des enseignements de la révélation divine.
Calvin a accompli un tour de force, une œuvre magistrale, en faisant un tout cohérent, systématiquement ordonné, de ce qui dans les saintes Écritures nous est donné pour notre instruction et notre édification.
Le Dieu créateur et souverain du monde naturel et de nos vies personnelles, le Dieu Rédempteur qui nous appelle, quoique indignes, à participer à la grâce qui est en Jésus-Christ, et nous introduit dans son Église pour faire de nous ses enfants d’adoption, le Dieu auquel l’Institution rend témoignage, Calvin s’est donné à Lui tout entier, sans réserve, de tout son cœur et de tout son âme – prompte et sincère(1) – c’est pourquoi il nous apprend à l’adorer et à le servir.

Par Eugène CHOISY, Professeur à la Faculté de l’Université de Genève.
Texte paru dans Jubilé de la Réforme 1536 1936, l'Almanch Jean Calvin Farel Viret.

(1) Devise et sceau de Calvin.